Le risque pénal encouru par l'employeur en cas de poursuite de son activité en période de pandémie de COVID-19
Publié le :
01/04/2020
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L’obligation de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs mise à la charge de l’employeur.
Sous l’influence du droit européen, le dispositif législatif français en matière d’hygiène et de sécurité des travailleurs s’est largement renforcé, jusqu’à consacrer l’obligation de sécurité de l’employeur.
Les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail imposent à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
À ce titre, il doit conduire des actions de prévention des risques professionnels (rédaction du document unique d’évaluation des risques professionnels qui existent dans sa société, conformément aux dispositions de l’article R 4121-1 du Code du travail par exemple), dispenser des informations claires et des formations, et mettre en place une organisation et des moyens adaptés, susceptibles d’évoluer selon les circonstances.
Dans les arrêts « amiante » du 28 février 2002, la Cour de cassation a érigé l’obligation de sécurité à laquelle était tenue l’employeur en obligation de résultat.
En conséquence, toute atteinte à la sécurité des travailleurs suffisait à engager la responsabilité de l’employeur sans qu’il soit besoin d’établir l’existence d’une faute. Seule la démonstration de l’existence d’un cas de force majeur, donc imprévisible, irrésistible et extérieur, était de nature à l’exonérer de sa responsabilité.
Puis, la jurisprudence a un peu infléchi sa position ces dernières années, et admis que l’employeur pouvait faire la démonstration de ses diligences et être exonéré de sa responsabilité.
L’obligation de sécurité de l’employeur, toujours qualifiée par les tribunaux d’obligation de résultat, s’apparente aujourd’hui davantage à une obligation de moyens renforcée.
Quels risquent pénaux encourent les employeurs s’ils poursuivent leur activité économique en période de pandémie de Covid 19 ?
Pour tenter d’endiguer la pandémie de Covid 19, le Gouvernement a annoncé un certain nombre de mesures applicables à compter du 12 mars 2020 :
- La fermeture des lieux ouverts au public, sauf les commerces de première nécessité, en particulier les commerces alimentaires et les pharmacies ;
- La poursuite de l’activité économique en favorisant autant que possible le télétravail ;
- Pour les salariés qui doivent se rendre dans les locaux de l’entreprise, le respect absolu des gestes barrières.
Le gouvernement a confirmé par la suite que le maintien autant qu’il est possible de l’activité économique était une priorité (dérogation au confinement, augmentation de la durée maximum de travail hebdomadaire, etc).
Bien entendu, la poursuite de l’activité et la présence des salariés dans l’entreprise, imposent à l’employeur de prendre toutes les précautions possibles pour prévenir les risques de contagion : fourniture de gel hydroalcoolique et instructions d’emploi, masques dans la mesure du possible, ou encore espacement des postes de travail, aménagement des vestiaires, etc.
L’encouragement des entreprises à poursuivre leurs activités pendant la crise sanitaire par les pouvoirs publics constituera-t-il un cas de force majeure exclusif de toute responsabilité pénale de l’employeur si un ou plusieurs travailleurs venaient à tomber malade ?
Les circonstances exceptionnelles et sans précédents auxquelles nous sommes confrontés nous conduisent à émettre les hypothèses suivantes.
La nature de l’activité de l’entreprise en cause pourrait avoir une incidence sur l’appréciation par le juge de la responsabilité pénale de l’employeur.
Si l’activité relève des services essentiels (alimentation, santé, énergie, eau), l’employeur fortement incité, voire contraint de maintenir son activité, échappera à toute responsabilité, pourvu qu’il ait mis en place les mesures de protection nécessaires. Il bénéficierait en quelque sorte de l’exonération de la force majeure.
Si l’activité de l’entreprise en cause ne relève pas des services essentiels, l’appréciation du juge pourra être plus exigeante à l’égard de l’employeur. Il sera peut-être retenu qu’il avait le choix de maintenir l’activité ou de fermer pour que ses salariés puissent se protéger en confinement, et que la fermeture s’imposait s’il apparaissait que, raisonnablement, compte tenu de l’organisation de l’entreprise et des conditions de sa production, les gestes barrières élémentaires ne pouvaient suffire à écarter tout risque de contagion.
Cette appréciation sera d’autant plus rigoureuse que les salariés de l’entreprise en cause pouvaient bénéficier du dispositif élargi de l’indemnisation du chômage technique et qu’en conséquence, le choix de l’employeur de poursuivre son activité, de l’interrompre ou de la réduire n’était pas contraint par l’impératif de survie.
Quelle que soit la nature de l’activité de l’entreprise, l’employeur qui aura mis en œuvre toutes les mesures possibles de protection des salariés (par exemple, pour une hôtesse de caisse de supermarché, mise à disposition de gel hydroalcoolique, masques, séparation physique avec la clientèle) ne pourra pas se voir reprocher une quelconque faute susceptible d’engager sa responsabilité.
En définitive, les employeurs qui poursuivent leur activité économique en période de pandémie de Covid 19 ne seront guère susceptibles de voir leur responsabilité pénale engagée, que s’il devait être établi qu’ils n’ont pas mis en œuvre toutes les précautions minimums pour prévenir les risques de transmission du virus aux salariés travailleurs, ou s’ils ont poursuivi l’activité de l’entreprise alors que la configuration des locaux ou les conditions de l’activité ne permettaient pas de prendre ces mesures de protection.
Sur quels fondements juridiques ?
Sur les dispositions spécifiques édictées par le Code du travail
L’article L 4741-1 du Code du travail dispose que l’employeur qui commet un manquement fautif à une règle relative à la protection de la santé et à la sécurité des travailleurs, est susceptible d’encourir une peine d’amende de 10 000 €, portée à 30 000 € et un an d’emprisonnement en cas de récidive, étant précisé que cette amende sera prononcée autant de fois qu’il y a de travailleurs concernés, et indépendamment du nombre d’infractions relevées.
Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, l’employeur qui manquerait d’établir sérieusement et d’actualiser le document unique d’évaluation des risques professionnels qui existent dans sa société pour l’adapter à la situation de pandémie que nous subissons, puis qui omettrait de le porter à la connaissance des employés comme le prévoit l’article R 4121-1 du Code du travail, pourra voir sa responsabilité pénale engagée (Crim, 25 octobre 2011, n° 10-82133).
Sur les dispositions du Code de procédure pénale
Sur le terrain des infractions intentionnelles, le délit de mise en danger d’autrui, prévu et réprimé par l’article 223-1 du Code pénal, est l’infraction qui devrait être retenue par les parquets pour sanctionner l’employeur gravement négligent en cette période de pandémie.
Il suppose de la part de l’employeur la violation, de façon manifestement délibérée, d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, conduisant à exposer un travailleur à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique.
Cette infraction est consommée quelle que soit l’intensité du risque, indépendamment de tout dommage corporel et il importe peu que l’employeur n’ait pas souhaité porter atteinte à l’intégrité physique de ses salariés, tant qu’est démontré qu’il a intentionnellement contrevenu à une obligation particulière de prudence ou de sécurité.
Les obligations particulières de prudence et de sécurité prévues par la loi et le règlement susceptibles d’être méconnues par l’employeur sont nombreuses et le risque d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique par le Covid 19 est incontestable.
Dans la circonstance d’une infection prouvée d’un salarié, l’employeur pourrait également être poursuivi du chef d’homicide involontaire (article 221-6 du Code pénal) ou de blessures involontaires (articles 222-19 et suivants, 222-20 et suivants, R 625-2 et R 622-1 du Code pénal).
La première difficulté du plaignant sera d’établir que le salarié présent dans l’entreprise est tombé malade à l’occasion de l’exercice de son activité professionnelle, et non pas à l’occasion d’autres interactions sociales.
La répression de ces infractions diffère selon le dommage corporel subi par la victime. En cas de décès, l’employeur peut être poursuivi pour homicide. En cas de blessures, sa responsabilité pénale pourra être recherchée sur un fondement délictuel ou contractuel, selon la durée de l’incapacité totale de travail, c’est à dire l’inaptitude à exercer tout travail corporel (et non seulement une activité professionnelle) pendant une durée déterminée.
Ces infractions peuvent être parfois malaisées à établir puisqu’elles nécessitent d’opérer des distinctions selon la faute commise par l’employeur et la nature du lien de causalité entre la faute et le dommage subi par la victime.
Soit le lien de causalité est direct (il est démontré que la faute commise par l’employeur est la cause directe du dommage subi par le travailleur), et dans ce cas, il suffira d’établir, conformément aux dispositions de l’article 121-3 du Code pénal, la commission d’une faute simple de l’employeur qui n’a pas accompli les diligences normales compte tenu de la situation, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences, ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
La faute simple peut résulter d’une imprudence, d’une maladresse, d’une négligence, d’un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.
Soit le lien de causalité est indirect (l’employeur a simplement créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, ou il n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter), et il faudra caractériser une faute « qualifiée » : soit une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité que l’auteur des faits ne pouvait ignorer, soit une faute délibérée, définie comme la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.
Dans le contexte de crise sanitaire actuelle, et compte tenu du mode de transmission du Coronavirus, la responsabilité de l’employeur pourra être recherchée, selon les circonstances, sur l’un ou l’autre de ces fondements, causalité directe ou indirecte, faute simple ou qualifiée.
En effet, la faute délibérée, caractérisée par le fait que l’employeur n’a pas respecté les obligations particulières de sécurité et de prudence édictées par la loi et le règlement, a pendant longtemps été difficile à retenir, du fait du caractère considéré comme « général » d’un grand nombre de règles édictées par le Code du travail.
Toutefois, la jurisprudence s’assouplit depuis plusieurs années et reconnait un caractère particulier à de plus en plus d’obligations. C’est le cas de celles visées à l’article L 4121-1 du Code du travail (Crim, 13 décembre 2016, n° 15-80181).
Le caractère général des mesures visées par l’article L 4121-1 du Code du travail que l’employeur doit prendre pour protéger les travailleurs, permettra aisément de rechercher la responsabilité pénale des employeurs en cas d’atteinte à l’intégrité physique de leurs salariés.
Ainsi, le fait que ni le législateur, ni le gouvernement n’ont édicté de règles spécifiques à la lutte contre le Coronavirus au sein des entreprises n’est pas un obstacle à la mise en œuvre de ces incriminations d’homicide ou de blessures involontaires.
Il pourra également être reproché à l’employeur une faute caractérisée si l’on rapporte la preuve qu’il avait une conscience claire de la situation dangereuse qu’il faisait courir à ses salariés et qu’il n’a pas pris les mesures de prévention indispensables ou si, alerté par ses travailleurs, il est resté passif.
Ainsi, si les employeurs ne suivent pas les recommandations gouvernementales préconisées pour prévenir la contagion par le Coronavirus, ou s’ils poursuivent l’activité alors qu’il est impossible de respecter ces recommandations, ce qui provoquerait la contamination de certains salariés, ils seront susceptibles de voir leur responsabilité pénale engagée.
Et ce d’autant plus que la crise sanitaire liée au Coronavirus fait l’objet d’une très grande couverture médiatique, et qu’il lui sera impossible de prétendre qu’il n’avait pas conscience des risques qu’il faisait courir à ses travailleurs.
Il convient de rappeler que les personnes morales pourront aussi être déclarées responsables pénalement de toute faute commise par leurs organes ou leurs représentants, qui aurait mis en danger la santé et la sécurité des travailleurs ou entraîné une atteinte à leur intégrité physique.
Le risque de poursuite d’une personne morale est d’autant plus à craindre qu’une faute simple (dont la définition, précisée à l’article 121-3 du Code pénal, a été rappelée ci-dessus) est suffisante pour engager sa responsabilité et qu’il n’est pas nécessaire de distinguer le caractère direct ou indirect du lien de causalité.
Pour autant, si les conditions de mise en œuvre de la responsabilité pénale des personnes morales sont plus souples que celles édictées à l’encontre des employeurs personnes physiques, il n’est pas exclu que la personne morale d’une part, et son dirigeant (son organe ou son représentant) d’autre part, soient dans le même temps poursuivis.
Face à la pandémie du Coronavirus et s’il a décidé de poursuivre son activité, l’employeur doit donc redoubler de vigilance, se mettre en conformité avec les règles édictées par le Code du travail et celles préconisées par le gouvernement pour prévenir l’infection. Ainsi, il ne peut accepter la présence dans l’entreprise d’un salarié ou d’un tiers qu’il saurait ou devrait savoir contaminé, et il doit se résoudre à interrompre l’activité si les précautions contre la contagion ne peuvent être prises de manière satisfaisante.
Afin d’éviter tout risque de poursuites pénales, il lui incombe également la lourde charge de faire la preuve des diligences entreprises pour assurer la sécurité et protéger la santé de son personnel.
Philippe SARDA, Avocat au Barreau de Paris
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