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La chambre criminelle réduit la portée du délai protecteur de l’article 186-2 du Code de procédure pénale en distinguant là où la loi ne le faisait pas…

La chambre criminelle réduit la portée du délai protecteur de l’article 186-2 du Code de procédure pénale en distinguant là où la loi ne le faisait pas…

Publié le : 17/03/2021 17 mars mars 03 2021

Il s’agit d’un véritable cas d’école qui n’avait encore jamais été soumis à l’appréciation des juges de la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Dans un dossier criminel qui compte trois mis en examen, deux sont libres, placés sous
contrôle judiciaire, et un est en détention provisoire depuis le mois de février 2018. Le 7 mai 2020, le juge d’instruction de Paris rend son ordonnance de mise en accusation, les renvoyant tous les trois devant la cour d’assises de Paris. Les deux accusés libres en relèvent appel le 15 mai, alors que le troisième y renonce, dans l’espoir d’être jugé plus rapidement.

L’audience de la chambre de l’instruction de Paris se tient le 8 octobre. Le délibéré est renvoyé au 12 novembre suivant.
Le 16 octobre, le conseil de l’accusé détenu écrit au parquet général de Paris pour demander la mise en liberté de son client, le délai de quatre mois prévu par l’article 186-2 du code de procédure pénale, augmenté d’un mois par l’ordonnance 20-303 du 25 mars 2020, étant dépassé.

L’article 186-2 du code de procédure pénale dispose en effet qu’« en cas d’appel contre une ordonnance prévue par l’article 181, la chambre de l’instruction statue dans les quatre mois suivant la date de la déclaration d’appel, faute de quoi, si la personne est détenue, elle est mise d’office en liberté ».

À l’appui de sa demande de mise en liberté, puis de son pourvoi en cassation, l’intéressé a
principalement fait valoir que la règle posée par l’article 186-2 ne prévoyant pas de distinction selon l’auteur de l’appel interjeté, le juge n’a pas à distinguer quand la loi elle-même ne le fait pas.

Le parquet général, la chambre de l’instruction et enfin la chambre criminelle de la Cour de
cassation ont usé du même motif pour s’opposer à l’application de l’article 186-2 au bénéfice de cet accusé détenu non-appelant.
Dans son arrêt du 3 février 2021 (n° 20-86.338), la chambre criminelle a validé la motivation de la chambre de l’instruction de Paris, qui avait elle-même repris celle du parquet général, dans les termes suivants :

« Pour retenir que M. X ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article 186-2 du code de procédure pénale, l’arrêt attaqué énonce que l’article 181 du même code dispose que si l’accusé est placé en détention provisoire, le mandat de dépôt décerné contre lui conserve sa force exécutoire et l'intéressé demeure détenu, sous réserve des dispositions lui permettant de former des demandes de mise en liberté, jusqu'à son jugement devant la cour d'assises, et qu'en l'absence de sa comparution devant celle-ci dans le délai d'un an, il est immédiatement remis en liberté.
Il ajoute qu’il résulte des articles 186 et 186-2 du code de procédure pénale que le mis en
examen peut faire appel de l'ordonnance de mise en accusation et que, dans ce cas, la chambre de l'instruction doit statuer dans un délai de quatre mois suivant la date de déclaration d'appel, faute de quoi, si la personne est détenue, elle est mise d'office en liberté. Les juges indiquent qu’il se déduit de l'application combinée de ces trois articles que le mandat de dépôt antérieur à l'ordonnance de mise en accusation ne perd sa force exécutoire qu'en cas d'appel de l'ordonnance de mise en accusation, qui fixe un délai maximal de quatre mois dansl'attente de l'arrêt statuant sur celui-ci et que les dispositions de l'article 186-2 du code de procédure pénale supposent nécessairement que le mandat de dépôt ait été privé de sa force exécutoire pour retenir une durée maximale de quatre mois de la détention. Ils en déduisent que, M. X n'ayant pas formé appel de sa mise en accusation, l'ordonnance qui, compte tenu de l'effet dévolutif de l'appel est devenue définitive à son égard, a conservé la force exécutoire du mandat de dépôt décerné contre lui et qu'il ne peut en conséquence se prévaloir des dispositions de l'article 186-2 précité. 
En l’état de ces énonciations, et dès lors que l’application des dispositions de l’article 186-2 du code de procédure pénale ne peut être revendiquée par l’accusé détenu non appelant en cas d’appel de ses co-accusés de l’ordonnance de mise en accusation, la chambre de l'instruction a fait l’exacte application des textes visés au moyen.
»

Cette solution, qui crée in fine une règle qui n’avait pas été prévue par le législateur, aux
termes de laquelle seul l’appelant d’une ordonnance de mise en accusation peut se prévaloir du droit d’être remis d’office en liberté s’il n’est pas statué sur son appel dans les quatre mois, est évidemment contraire à l’esprit de l’article 186-2, qui a été créé pour limiter un délai de procédure dans le cas où « la personne » serait détenue lors de son renvoi devant la cour d’assises.
Elle est aussi décevante dans un contexte où la Cour de cassation rend des arrêts de principe invitant les chambres de l’instruction à se montrer plus rigoureuses dans leurs appréciations du bien-fondé du maintien en détention provisoire.

En l’espèce, la solution est d’autant plus inique qu’elle prive de cette protection le seul accusé qui était fondé à s’en prévaloir, étant le seul détenu, à la différence de ses deux co-accusés libres, qui ne souffrent en rien de la prolongation de la procédure causé par leur appel…
Il y aura une suite, l’intéressé ayant décidé de saisir la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

Philippe SARDA
Avocat au Barreau de Paris

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